Alors que le Royaume-Uni a officiellement quitté l’Union européenne il y a plus de cinq ans, le paysage commercial entre les deux rives de la Manche continue d’évoluer. Le Brexit a entraîné une transformation profonde des relations économiques, remplaçant l’intégration au sein du marché unique par une relation basée sur l’accord de commerce et de coopération (TCA). Pour les entreprises impliquées dans l’import-export, cette nouvelle réalité se traduit par un ensemble de formalités, d’obstacles non tarifaires et de règles complexes qui ont redéfini les échanges. Si les tarifs douaniers ont été évités, les barrières non tarifaires sont devenues une réalité quotidienne, impactant particulièrement les petites entreprises moins équipées pour faire face à la paperasserie. Cet article fait le point sur les changements concrets, les défis persistants et les stratégies à adopter pour naviguer avec succès dans ce nouvel environnement post-Brexit.
L’impact économique et commercial : un bilan mitigé
Cinq ans après la mise œuvre complète des nouvelles règles, le bilan économique du Brexit pour les échanges commerciaux est contrasté. Les études convergent pour indiquer un impact négatif sur les flux commerciaux de biens. Le Bureau de responsabilité budgétaire (OBR) britannique estime que le Brexit réduira à terme la taille de l’économie britannique d’environ 4 % par rapport à un scénario où le pays serait resté dans l’UE. Une étude académique publiée dans la European Economic Review quantifie cet impact : les exportations du Royaume-Uni vers l’UE ont chuté de 16 %, et les importations en provenance de l’UE ont baissé de 24 % au cours de la première année post-Brexit.
Le tableau n’est pas entièrement sombre. Les exportations de services, un secteur clé pour l’économie britannique, ont connu une performance robuste, dépassant même leurs niveaux d’avant le Brexit. Cependant, la part de l’UE dans le commerce total du Royaume-Uni a légèrement diminué, passant de 47 % des exportations en 2010-2011 à 41 %. Les déclarations douanières, les contrôles aux frontières et les règles d’origine sont devenus la nouvelle norme, créant des frictions commerciales qui grèvent l’efficacité des chaînes d’approvisionnement autrefois intégrées.
Les nouveaux obstacles non tarifaires : la paperasserie comme barrière
La fin de la libre circulation des marchandises a introduit une série d’obstacles non tarifaires qui constituent le changement le plus significatif pour les entreprises. Bien que le TCA ait garanti des échanges sans quotas ni droits de douane, il a rétabli les formalités frontalières.
- Déclarations en douane : Toute expédition de marchandises entre la Grande-Bretagne et l’UE doit désormais être accompagnée d’une déclaration douanière complète. Depuis le 1er janvier, la période de grâce permettant de reporter cette déclaration a pris fin, obligeant les entreprises à être en parfait ordre au moment du passage de la frontière. Des groupes logistiques comme DHL, FedEx et Kuehne + Nagel ont dû considérablement renforcer leurs services de courtage en douane pour accompagner leurs clients.
- Contrôles sanitaires et phytosanitaires : Pour les produits d’origine animale ou végétale, les certificats sanitaires sont devenus obligatoires. Un exportateur de fromages français comme Lactalis ou un producteur néerlandais de fleurs doit désormais fournir un certificat d’exportation sanitaire pour chaque envoi vers le Royaume-Uni.
- Règles d’origine : C’est l’un des aspects les plus techniques. Pour bénéficier du taux de droit de douane nul, les entreprises doivent prouver que leurs produits originent soit du Royaume-Uni, soit de l’UE. Cette règle impacte particulièrement les chaînes d’approvisionnement intégrées. Par exemple, un constructeur automobile comme VW qui importe des pièces du Royaume-Uni pour les assembler en Allemagne peut voir ses véhicules soumis à des droits de douane s’ils sont réexportés vers le Royaume-Uni, si la valeur des pièces dépasse un certain seuil.
Le casse-tête des règles d’origine et du cumul
Les règles d’origine méritent une attention particulière. Le TCA n’autorise que le cumul bilatéral (UE-Royaume-Uni), et non le cumul diagonal qui permettrait d’inclure des matériaux d’autres pays partenaires. Cette limitation a des conséquences directes. Par exemple, un fabricant britannique de machines qui utilise des composants japonais peut voir son produit final perdre son statut « d’origine UK » et donc ne plus pouvoir être exporté vers l’UE en franchise de droits, alors que c’était le cas lorsque le Royaume-Uni était dans l’UE. Des sociétés d’ingénierie comme Rolls-Royce ou Siemens doivent ainsi revoir en profondeur leur approvisionnement pour rester compétitives.
L’option de la « connaissance de l’importateur« , qui permet à l’importateur de se baser sur ses propres connaissances pour déclarer l’origine, offre une certaine flexibilité, mais elle exige une traçabilité irréprochable. Pour les produits complexes, une déclaration de fournisseur est souvent indispensable, ajoutant une nouvelle couche de complexité administrative.
La nouvelle donne pour les investissements et la logistique
Au-delà des biens, l’environnement des investissements a été affecté. Le stock d’investissements directs étrangers (IDE) en provenance de l’UE dans le UK a continué de croître en valeur nominale, passant de 655,8 milliards de livres en 2019 à 758,1 milliards. Cependant, cette croissance masque une part relative qui stagne, tandis que les investissements en provenance de pays non-UE augmentent plus rapidement. Les États-Unis restent le premier investisseur, avec un stock de 692,9 milliards de livres.
Sur le plan logistique, les acteurs majeurs comme Maersk ou DSV ont dû s’adapter à la fin des systèmes de transit communautaire. Le transport de groupage (groupage) a été particulièrement touché, de nombreux transporteurs étant réticents à accepter des chargements consolidés en raison de la complexité accrue des formalités pour chaque lot . L’obligation de fournir des déclarations de sécurité et de sûreté (ENS) pour les importations à destination de l’UE ajoute un autre délai à respecter scrupuleusement.
Les opportunités et les stratégies d’adaptation
Face à ces défis, les entreprises ont développé des stratégies d’adaptation. Le recours à un agent en douane spécialisé est devenu quasi indispensable pour les PME. Des solutions logicielles proposées par des entreprises comme Customs4trade ou Thomson Reuters aident à automatiser une partie des processus.
Le Brexit a également contraint le Royaume-Uni à négocier ses propres accords commerciaux. De nouveaux traités ont été signés avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, et un accord avec les États-Unis est entré en vigueur en juin, visant à atténuer l’impact de certains tarifs américains. Bien que leur impact économique global soit jugé modeste par rapport aux perturbations avec l’UE, ils ouvrent des débouchés nouveaux pour des secteurs spécifiques. Par exemple, un producteur de whisky écossais comme Diageo peut bénéficier de conditions d’accès améliorées sur ces nouveaux marchés.
Enfin, la possibilité pour le Royaume-Uni de modifier sa réglementation, par exemple dans le domaine de l’édition génétique des cultures ou de la TVA, offre une marge de manœuvre. Le gouvernement a ainsi pu instaurer un taux de TVA zéro sur les produits sanitaires, une mesure qui n’était pas possible sous la directive européenne sur la TVA.
Une relation en redéfinition permanente
Cinq ans après son plein effet, le Brexit a indéniablement complexifié les échanges de biens entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Les obstacles non tarifaires et les règles d’origine sont devenus le principal défi pour les entreprises, engendrant des coûts administratifs supplémentaires et des délais allongés. Le bilan est en demi-teinte : si le secteur des services a bien résisté, le commerce des biens, en revanche, montre des signes nets de contraction par rapport à un scénario sans Brexit. L’adaptation est la clé de voûte de la survie dans ce nouvel environnement. Le recours à des experts, l’automatisation des processus douaniers et une révision stratégique des chaînes d’approvisionnement sont désormais indispensables. Alors que le gouvernement travailliste actuel cherche à « réinitialiser » les relations avec l’UE, l’avenir de cette relation commerciale reste à écrire. Les ajustements techniques et réglementaires se poursuivront, exigeant une vigilance constante de la part des acteurs économiques. Le paysage commercial a profondément changé, et l’agilité reste la meilleure alliée des entreprises pour naviguer dans ces eaux complexes.
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